Éducation et autorité : une approche équilibrée pour les élèves à haut potentiel

Éducation et autorité une approche équilibrée pour les élèves à haut potentiel

Je voudrais apporter ici mon témoignage des différentes méthodes et expériences face à des situations de rébellion, d’agitation, de difficulté à travailler, d’échec scolaire ou de provocation d’élèves à haut potentiel intellectuel face à l’institution scolaire. Expériences que nous avons eues depuis que le lycée pour les élèves précoces et le collège EIP de notre établissement existent.

Qu’est-ce que l’autorité ?

Vous avez tous sans doute connu des professeurs qui, dès qu’ils arrivent en classe, crient, invectivent tel ou tel autre élève sans même les connaître. Mieux, les reconnaître. Il s’agit là d’une autorité certes, mais d’une autorité vide de sens. Pourquoi ? Parce qu’elle s’adresse à autrui sans s’adresser à personne. Parce qu’elle place en premier lieu l’obéissance absolue, sans le préalable de l’écoute, de l’éducation.

Or, une autorité dans une relation unilatérale revient à nier ce qui fait sens dans l’éducation : à savoir l’échange.

Je voudrais vous rappeler une phrase d’Hannah Arendt, philosophe qui a beaucoup écrit sur le pouvoir politique, la tyrannie. Elle disait, « l’autorité est la capacité d’obtenir l’obéissance sans recourir à la contrainte par la force ou la persuasion ». C’est-à-dire que l’autorité véritable ne s’impose pas par des caractères extérieurs à elle. Comme la force, la croyance, ou l’idéologie. Qu’elle ne se constitue pas comme un ordre, un commandement unilatéral qu’il faut appliquer. Non, l’autorité est une relation, une relation tout d’abord de confiance. On ne fait autorité que si l’autre accepte cette autorité.

L’autorité et l’éducation

Donc au niveau éducatif il ne suffit pas de trouver des stratégies ou des méthodes pour imposer « son autorité ». Mais il est nécessaire avant tout d’instaurer une relation de confiance et d’échange.

Confiance et échange

Car au fond il s’agit bien d’un échange dans la relation d’éduquer au savoir. Même des élèves en échec scolaire reconnaissent le bon professeur et s’attachent à lui. Et un bon professeur n’est pas seulement celui qui sait mais c’est surtout celui qui transmet. Grâce à son désir de « faire passer quelque chose », une idée, une connaissance, un plaisir éprouvé qu’il veut partager. C’est dire combien dans cette relation entre élève à haut potentiel, éducation et autorité il est nécessaire de faire passer autre chose que le pur savoir, c’est-à-dire une part d’affect, d’émotion, de ressenti qui colore le savoir et lui donne du goût. De là se dégage l’envie de transmettre du côté du professeur. Mais aussi idéalement, l’envie d’écouter et d’apprendre du point de vue de l’élève.

Si cette relation est cassée, détériorée, presque toujours cette autorité vole en éclat pour l’élève.

Les élèves à haut potentiel et l’autorité

Rétablir cette relation de confiance et échange a été, est notre tâche quotidienne avec ces élèves précoces. Ils se sont souvent retrouvés avec des phobies scolaires, des refus de travailler, des provocations constantes.

Comment faire dès lors pour tout à la fois, comprendre, respecter nous-mêmes les consignes de l’Éducation nationale ? Mais aussi faire autorité afin de mettre ou de remettre la machine en marche vers une réussite que l’on sait possible. Effectivement, nous avons les contraintes du réel : la vie en collectivité, la gestion de l’établissement, les programmes à respecter. Ces contraintes, que bien souvent les lycéens ne voient pas, ils ne comprennent pas ces impératifs. À nous de les leur expliquer, de donner sens à ces impératifs, de leur témoigner que nous agissons aussi sous la contrainte de ces impératifs que nous respectons.

Admettre la différence

Premièrement, exercer son autorité c’est avoir la capacité d’admettre que celui à qui on demande obéissance ne fonctionne pas forcément comme nous. Il n’aura pas la même vision, la même structure psychique ou le même processus réflexif que nous. Paradoxalement, « avoir de l’autorité sur », veut dire développer une certaine forme de tolérance pour appréhender l’autre sans a priori ou idée fixe.

Écouter

Deuxièmement, l’écoute : nous ne nous faisons écouter que si nous-mêmes nous écoutons. Écouter celui ou celle à qui s’adresse l’autorité c’est l’autoriser dans son identité, même plus le reconnaître. Qu’il soit fautif ou non, volontaire au travail ou non, un élève qui se sent reconnu sans être au préalable jugé est un élève enclin à écouter notre propre parole.

Il m’est souvent arrivé de refuser de donner moi-même une sanction. J’ai alors demandé à l’élève de reformuler ce qu’il avait fait, ce qu’il en pensait. De se mettre à ma place en lui disant « si tu étais toi-même directeur, qu’est-ce que tu ferais ? Quelle sanction tu mettrais à l’élève récalcitrant ? » Très souvent ce processus de prise de conscience l’aide à comprendre ce qu’il a fait. À formaliser un ressenti et à s’engager. En effet l’élève accepte cette mise à distance avec l’événement qu’il a produit et sait très bien qu’il a enfreint les règles. À partir du moment où on le place en condition de regarder la situation non de son point de vue mais du point de vue d’une collectivité, d’une vie de groupe, il comprend le décalage et comprendre c’est déjà reconnaître pour admettre.

Dans cette pratique de refuser de sanctionner. Je délègue mon autorité en lui témoignant la confiance que j’ai en sa prise de conscience, en son honnêteté, en sa raison. Je l’accompagne dans sa prise de distance face à ses actes. Dans sa réflexion sur lui-même et je me refuse de le juger tout en jugeant son acte.

J’entame donc un processus relationnel qui va au-delà du couple faute/punition. Le responsabiliser renforce en fait mon autorité.

Ainsi cette confiance accordée, cette conscience développée rend opératoire l’autorité en la justifiant.

Respecter

Trois éléments se dégagent ici : le respect de l’individu, la foi en sa reconstruction, et l’adaptation à une situation précise. Cette adaptation est réciproque. Alors que les 2 premiers éléments ne le sont pas forcément : l’élève n’a pas respecté le contrat ou les consignes et il n’a généralement aucune foi en son changement.

À moi donc de lui montrer la voie comme c’est le devoir de tout éducateur.

Troisième condition, donc : le respect et ce, quelle que soit l’attitude de l’élève qui est devant soi. Ainsi à une action d’un élève qui se repère comme une action de pure provocation la pire des solutions est d’y répondre de façon réactive. Il nous faut maîtriser nos affects et analyser pourquoi un élève a agi de la sorte.

Désamorcer la provocation c’est d’une certaine manière répondre à une bêtise par l’intelligence, la raison, c’est refuser de réagir sur une action qui est elle-même réactive. À nous de comprendre pourquoi cet élève a agi de la sorte. Et de répondre tout d’abord sur le sens de cette réaction puis sur les conséquences que cette action entraîne. Il nous faut donc aller au-delà de ce que nous constatons pour aborder ce qui a fondé cette action.

Surprendre

Apparaît alors une quatrième condition possible. Celle de surprendre l’élève. En effet, un élève précoce anticipe toujours très vite et souvent comprend et reconnaît les tendances psychiques des personnes qu’il a en face de lui. Si on ne réagit pas forcément comme il s’attend, l’EIP fait « fonctionner sa cervelle » et n’est plus dans la provocation. En général, cette provocation est toujours d’ordre affectif. Elle est un appel pour qu’on s’occupe de lui. L’élève à haut potentiel prend des risques jusqu’à se détruire pour montrer qu’il existe, pour attirer l’attention. En démontant avec lui ce mécanisme, en le surprenant par notre effort de l’inclure au lieu de le juger et de l’exclure, on lui fait prendre conscience qu’il y a d’autres manières d’agir et on démonte peu à peu son mécanisme.

Encadrer

Paradoxalement apparaît une cinquième condition. Ces élèves intellectuellement précoces sont extrêmement rassurés par le cadre. Par le fait d’être encadré, contrôlé, dans le sens le plus noble du terme, c’est-à-dire apprendre à maîtriser ses émotions, ses réactions.

Parce qu’eux-mêmes n’arrivent pas à s’imposer des règles, ils attendent une prise en charge qui tout en les reconnaissant leur fixe des limites. Plus le cadre est serré dans le sens où l’information passe entre le professeur et l’administration, et même les parents, plus l’élève s’aperçoit qu’il ne peut louvoyer ou raconter n’importe quoi, plus l’élève se considère et est considéré comme le centre de l’école.

En agissant mal ou en bravant l’autorité, l’élève n’est-il pas au fond désireux de faire parler de lui ? Il veut peut-être se situer au centre des problèmes et d’une certaine manière garder le lien avec l’institution au risque constant de perdre ce lien.

En déjouant ce système, et en le mettant nous-même au centre grâce à la circulation de l’information et à la synergie entre professeur et administration, l’élève se trouve quelque peu « coincé » et se lasse souvent de faire des bêtises ou d’aller contre l’autorité.

Il faut, de même, prendre en compte que bien des parents, peut-être épuisés, ne cadrent plus leur enfant, ou par peur du désamour renonce à être autoritaire. Ils acceptent de négocier cette autorité et se font vite recaler par les arguments des EIP, par leur humour aussi.

Montrer la voie

Nous devons parfois montrer la voie aux enfants. Leur faire comprendre que nous ne les lâcherons pas et leur témoigner que malgré notre compréhension nous avons des impératifs que la loi nous impose et que nous devons appliquer.

C’est pourquoi nous montrons à l’élève le chemin à parcourir en lui fixant des objectifs à courts termes. En le revoyant pour évaluer si ces objectifs ont été réalisés, en étant nous-mêmes attentif à son parcours, aux éléments négatifs comme à ceux positifs en le lui disant, en un mot en « portant attention à ».

Voilà quelques-unes des stratégies pour entrer en relation avec l’élève, humaniser nos rapports et renverser la vapeur. Ce n’est plus l’élève qui nous épuise, c’est nous qui ne le lâchons pas !

Conditions d’acceptation de l’autorité

Un élève qui a été puni la semaine dernière auquel je demandais à quelle condition une autorité pourrait être acceptée. Il m’a répondu « si l’élève ne se vit pas comme un numéro parmi tant d’autres, si l’élève est considéré comme une personne, si l’autorité est une autorité de proximité ».

Une autorité ne se négocie pas si elle est prévenue d’une part, si elle est reconnue d’autre part et enfin consentie.

Encore plus avec les EIP, nous avons besoin de maintenir coûte que coûte le cadre que l’on s’est fixé. D’énoncer les règles avant même qu’un problème advienne.

Enfin, pour qu’une autorité puisse se développer sans force, être reconnue pour ce qu’elle est, à savoir une volonté de conduire un élève vers l’objectif d’une réussite, de sa réussite, il est nécessaire de faire appel au sens, à la considération de chacun, à l’assentiment de ce projet commun.

Rappelons aussi aux élèves précoces qu’il existe au-delà de nous des impératifs propres aux savoirs auxquels nous devons nous soumettre. Nous n’agissons pas forcément en fonction de notre bon vouloir mais en fonction des contraintes liées aux éléments qui dépassent notre individualité.

Cet objectif doit être de part en part contractuel (et là intervient aussi la motivation).

En conclusion je dirai que, avant d’exercer son autorité, cherchons à établir une relation de confiance. Celle-ci transformera une autorité subie en une autorité librement choisie.

En savoir plus sur le collège Ipécom Paris

Mis à jour le 12 Janvier 2024 à 15:52

Par Annie Reithmann

Directrice IPECOM Paris. DEA de Philosophie, spécialiste des méthodes d'apprentissage. En 1996 elle prend seule la direction d’Ipécom Paris.

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